Préserver les espaces naturels ? A peu près tout le monde est d’accord. Mais quand la question économique rentre dans l’équation, là ça se corse. Si peu de gens voudront raser une belle forêt primaire pour le plaisir, certains n’hésiteront pas pour de l’argent et d’autres fermeront les yeux du moment que cela rapporte des emplois.
Les beaux discours, les belles intentions sont vaines si on fait abstraction de la viabilité économique des espaces naturels.
C’est une réalité partout dans le monde, la nature crève de notre soif de richesse. Que ce soit par l’avidité de multinationales à la recherche de ressources naturelles bon marché ou par des mafias organisées pour arracher à prix d’or les dernières cornes aux rhinocéros blancs, le constat est le même. La recherche de l’enrichissement occulte totalement les discours bien-pensants sur les beautés de la nature ô combien inestimables.
Même certaines populations locales, acculées par la pauvreté, dans un équilibre écologique rompu, se trouvent contraintes aux petits trafics : braconnage, orpaillage, déforestation alors qu’elles savent pertinemment qu’elles courent à leur perte en détruisant le milieu dans lequel elles vivent.
Le tableau est noir, mais à l’impossible nul n’est tenu
Si à grande échelle, il n’y a à ma connaissance aucun programme de préservation idéal, certaines initiatives méritent qu’on s’y intéresse.
Je suis persuadé qu’à court terme, le seul moyen pour enrayer cette dégradation des espaces naturels, c’est de les rendre intéressants économiquement. C’est ultra pragmatique et beaucoup de défenseurs de l’environnement pousseront des cris d’horreur à cette évocation. Mais qu’a cela ne tienne, je suis le tenant d’une vision pragmatique à court terme et utopiste à long terme.
Mais alors quel rapport avec le voyage, me direz vous, c’est quand même un blog traitant de ce sujet !
Et bien c’est justement la question qui me turlupine depuis quelques temps déjà. Est-ce que le tourisme ne peut pas être cette vision « économiquement » intéressante à court terme pour préserver les espaces naturels.
Le tourisme de masse, un mal nécessaire pour préserver les espaces naturels ?
Le Costa Rica est un cas d’étude parfait. Avec une politique très volontariste pour faire ce pays le chantre du tourisme écologique, c’est une excellent laboratoire.
Avec plus de 20 % de son territoire classé en réserve naturelle et 6 % de la biodiversité mondiale pour seulement 0,02 % de la surface terrestre, ce pays a sur le papier tout pour être un paradis écologique.
Oui, mais le Costa Rica ne fait pas ça uniquement pour la beauté du geste, il a une économie à développer. Il fait le pari du tourisme « vert » ou » d’aventure » de masse. Et c’est là que tout bascule, le « de masse » est pour beaucoup de défenseurs de l’environnement, de voyageurs et autres observateurs synonyme de dégradation, d’érosion, d’exploitation…
Tout cela paraît bien antinomique.
Mais ce n’est pas si manichéen, car s’il y a bien des petits parcs surfréquentés, où on a plus l’impression de se balader dans un zoo que dans un espace naturel, avec des allées bien propres et bétonnées, avec des animaux (de moins en moins nombreux) nourris par les visiteurs (contre la volonté des autorités), il y a aussi de grands parcs difficilement accessibles avec des conditions d’accès drastiques d’une richesse exceptionnelle.
Le Costa Rica, un laboratoire d’un tourisme écologique à grande échelle
Si la côte pacifique du pays a été largement sacrifiée au profit des surf towns où les occidentaux viennent montrer en masse comment ils sont bronzés et cools, les autorités font de gros efforts sur la côte caraïbes pour préserver le littoral et sa faune, notamment les tortues marines.
Au final, ce pays me laisse une étrange impression. Le tourisme écologique, qui s’apparente en fait plus à un tourisme d’aventure, est clairement un business. Mais pour autant, c’est un des pays qui fait le plus d’efforts pour préserver sa richesse naturelle, puisqu’elle devient financière.
J’ai donc eu l’impression que certaines zones étaient « sacrifiées » pour pouvoir accueillir beaucoup de voyageurs avec toutes les conséquences écologiques que cela peut induire, pour pouvoir préserver des espaces moins impactés, tout en assurant un développement économique au pays.
Le pari est osé, mais pas inintéressant. Si je ne suis pas un chantre du libéralisme, et encore moins de la croissance verte qui ressemble à une tentative de préservation d’un système chancelant, il faut bien dire que ces choix ont apporté des résultats bien plus enviables que certains des voisins. Par exemple le Salvador qui est aujourd’hui exsangue avec une forêt primaire décimée.
Toujours est-il que le Costa Rica risque d’être victime de son succès. Déjà les parcs les plus fréquentés voient leur biodiversité s’essouffler, certains bouts de côte se bétonnent à grande vitesse. Comment le Costa Rica peut-il à long terme conserver sa stratégie sans « épuiser » ses parcs naturels les uns après les autres ? Difficile équation à X inconnues…
Quelles alternatives crédibles à un tourisme « vert » de masse ?
Mais l’écotourisme communautaire alors me direz-vous ? S’il est une expérience incroyable pour le voyageur et apporte un certain équilibre au milieu naturel, il se situe à une échelle microscopique pour le moment par rapport aux attentes de la plupart des touristes.
Aujourd’hui, soyons réalistes, combien de voyageurs sont prêts à passer plusieurs jours en milieu rural dans des conditions de confort rudimentaires ?
Il y a aussi le tourisme « propre » en écolodge avec de superbes installations « intégrées » au milieu naturel. Mais c’est souvent très cher et pas toujours très impactant en terme de développement économique local (beaucoup sont tenus par des étrangers). Or, le voyage s’est aujourd’hui démocratisé et rares sont ceux qui renonceront à voyager parce qu’ils ne peuvent pas s’assurer de le faire sur de bons critères écologiques !
En somme, cela m’apporte beaucoup d’interrogations, car j’ai le réflexe naturel (haha), de m’insurger contre un tourisme de masse dans les parcs naturels, comme à Paracas au Pérou, où les bateaux font la queue pour voir les otaries, ou bien dans la baie de Menai en Tanzanie, où des dizaines de petits bateaux jouent des coudes pour amener les touristes à plonger au plus près des dauphins venus se reposer.
Mais je dois aussi me demander que seraient ces lieux sans les capitaux amenés par les voyageurs venus s’abreuver de nature. Y aurait-il encore des oiseaux et des manchots sur les îles Ballestas ? Ou bien comme ailleurs sur la majorité de la côte péruvienne la surpêche aurait fait fuir (ou mourir) cette faune sauvage ?
Mais peut être est-ce simplement une façon de freiner le mouvement que de s’accommoder à cette adaptation de l’industrie du tourisme, peut être que ce n’est qu’une façon plus insidieuse de foncer dans le mur… Mais alors quelles alternatives ?
Les interrogations, la critique, c’est facile, mais quelles solutions ?
Les projets de riches philanthropes qui privatisent d’énormes surfaces terrestres pour en faire des sanctuaires inaccessibles même aux populations locales ?
Des réserves accessibles uniquement à des poignées de privilégiés, les autres étant cantonnés à être concentrés dans des surfaces restreintes pour mieux maîtriser les impacts = les villes ?
Travaillant dans le domaine de l’éducation à l’environnement, je me garderai bien d’avoir une réponse tranchée sur la question tant elle est synonyme d’éducation à la complexité.
Mais si il y a une chose dont je suis persuadé, c’est que la préservation d’un milieu commence par l’émerveillement, la connaissance, l’appropriation, la citoyenneté. Se couper de la nature est sûrement une des plus grosses erreurs de nos sociétés modernes. Et le tourisme (notamment de proximité) est un des moyens pour se reconnecter avec son milieu.
La discussion est ouverte ! J’aimerai beaucoup connaître votre avis sur la question, alors à vos commentaires :)
Crédit photo couverture : 8#X – licence CC-by-SA 2.0
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Hello ! Je pense avoir observé la même chose au Brésil, en me rendant à Ilha Grande, une île paradisiaque à quelques heures de Rio. Il y a notamment une législation en vigueur sur l’île qui limite les structures hôtelières en nombre et en taille, dans le but de respecter la réserve naturelle et développer un tourisme raisonné et équitable. Le lieu est vraiment superbe ! J’ai eu la chance de séjourner dans le côté de l’île le moins touristique.
Par contre, dans la baie d’Angra Dos Reis, où se situe l’embarcadère, c’est une autre histoire ! J’ai vu des bateaux comme celui de votre article, bondés de personnes. Brrr !
Le Brésil a la chance d’être immense et certaines régions sont encore peu touchées par le tourisme de masse. Mais ce point est un enjeu et défi d’avenir pour le pays.
Enrichissante réflexion !
Effectivement, on observe dans beaucoup d’endroits prisés ce phénomène, d’ « ilot » préservé, les alentours étant « sacrifiés ». Une stratégie qui me laisse perplexe, comme si la nature pouvait être mise sous un couvercle. D’ailleurs le terme de parc parle de lui même, puisqu’il implique un espace délimité…
Malheureusement, nos rejets, déchets etc ne font pas attention aux limites administratives !
Mais quel système pour protéger à plus grande échelle ? L’éducation est une piste, mais elle vient souvent en contradiction du modèle économique dominant.
Pour le moment.
réflexion très intéressante !!
Oh la, c’est un sujet qui me parle mais effectivement qui est très complexe! Les zones naturelles sont peut être encore plus importantes à protéger mais si on commençait déjà, tous et vraiment tous, à savoir protéger la nature autour de nous, cela serait surement plus facile car on aurait déjà des réflexes environnementaux plus valables! Je rentre d’Italie et était affolée devant la tonne de déchet plastique qu’il y a partout aux abords des routes, des zones touristiques… ma fille n’avait que ces mots à la bouche « mais que c’est sale » parce que M.tout le monde n’a aucun scrupule à laisser mouchoir en papier, mégot de cigarette , bouteille canette, derrière lui… Bon on était très réceptif car en pleine tentative de réduction des déchets chez nous à la maison comme en vacances… Bon j’en ferais surement un article sur le blog, mais je vais suivre la discussion pour voir si certains ont la solution miracle. Faut y croire!
Je suis bien d’accord avec toi Sandrine, la première et vrai réponse, c’est d’ailleurs ma conclusion, c’est l’éducation.
Mais pour le cas particulier des espaces naturels, un autre obstacle entre en jeu, complexifiant encore la donne : l’intérêt économique.
Si l’éducation à probablement un rôle majeur à jouer, je crains que cela ne soit suffisant tant notre vision de la gestion des ressources naturelles est basée sur sa rentabilité.
Mais peut être que si l’on arrivait à estimer le vrai coût de la disparition de la biodiversité, des espaces naturels, alors les mentalités pourraient évoluer… Même si je n’aime pas cette philosophie de marchandisation de la nature.
Sujet très intéressant.
Hélas, je suis très pessimiste sur la question. Certainement lié à ma piètre vision de la nature humaine, surtout lorsque l’humain se positionne en tant que consommateur ;-)
En discutant protection de la planète et des animaux, la plupart des gens se disent sensibles à la question. Dans les faits, quand il faut ouvrir le portefeuille, ce n’est plus une priorité … Ou aimer se donner bonne conscience, maladie moderne …
Pour moi la seule solution est de limiter drastiquement les accès. Si l’on estime qu’un parc peut accueillir X visiteurs par jour, les autorités doivent se limiter à cela. Même si la demande est 2, 5 ou 10 fois supérieure. Hélas, ce n’est jamais le cas ! Dès que le potentiel est élevé, les limites sautent ou augmentent. Limité à 1000 personnes par jour lorsque l’on a entre 800 et 1200 visiteurs/jour c’est facile. Lorsque l’on pourrait en avoir 5000, c’est plus dur :(
Je te trouve un peu dur sur les écolodges et plus largement sur les hôtels qui tentent de se lancer dans l’éco-tourisme. Même si beaucoup appartiennent à des étrangers au pays (mais pas tous!), j’ai vu d’excellents exemples au Pérou (Inkaterra) ou en Birmanie (Thahara). Une vraie vision durable, pour les locaux et pour la planète. Certes, il faut y mettre le prix. Là c’est clair!
Plus largement, la course au « pas cher » est clairement un fléau à bien des niveaux. Certes, le tourisme s’est démocratisé. C’est un vrai plus. Mais à quel prix? A quel prix pour la planète et pour les locaux?
Instinctivement, j’aurai tendance à être d’accord avec toi concernant la limitation de la fréquentation des espaces naturels. C’est d’ailleurs sur le long terme indispensable.
Mais je me demande sérieusement si ces espaces seraient toujours protégés avec une limitation drastique. Car ils ne deviendraient plus une source de revenu importante. Je déteste avoir à raisonner comme ça, mais c’est une réalité à laquelle nous devons nous confronter.
Alors je rejoins ton pessimisme ! Mon seul espoir, passer par l’éducation pour une prise de conscience de l’intérêt de ces espaces, bien plus important qu’un enjeu financier. Mais c’est très complexe dans des zones où les enjeux sont situés ailleurs, le besoin de manger et l’envie d’améliorer son quotidien étant des appels bien compréhensibles… A court terme…
Concernant les ecolodges, je n’y suis pas du tout opposé, ce sont des espaces souvent respectueux de l’environnement et bien intégrés. Simplement, j’y vois des limites en terme d’accès à la nature. Réserver ces espaces naturels à une classe privilégiée, c’est un obstacle à l’éducation du plus grand monde par l’émerveillement.
Mais je pousse simplement la réflexion, quitte à me faire l’avocat du diable, je suis bien conscient qu’il est difficile de tout avoir ! La préservation des espaces et l’accès au plus grand nombre est antinomique…
Je crois beaucoup au tourisme communautaire en alternative, qui offre une réelle garantie de développement local. C’est probablement très complémentaire des écolodges qui s’adressent à un public différent.
Pour résumer, j’en suis pour le moment à penser que le meilleur modèle est sans doute tourisme communautaire + éducation à l’environnement + quelques ecolodges.
Je fais pour mes études un mémoire sur ce sujet, je commence tout juste mes recherches. Ton article va surement m’aider. Si ça t’intéresse, je te passerai ce que j’ai fais.
Bonjour Sophie,
Ce serait vraiment génial si tu pouvais partager ton expérience ! C’est un sujet passionnant, tu dois t’éclater avec un sujet de mémoire comme celui-là. Ce n’est pas évident, mais passionnant.
Difficile de partager en quelques mots tes conclusions ici, mais si tu y arrives, en postant un lien vers ton mémoire (si tu veux le rendre public), je trouverai ça fantastique.
Effectivement, c’est un sujet passionnant, qui pourrait nous faire passer des heures à discuter autour de quelques bières j’en suis sur :-)
Je partage ta vision des choses. Pour moi également, une des seules façon d’arriver à protéger les espaces naturels, c’est d’arriver à attirer l’attention sur l’aspect économique qu’ils représentent (c’est pas facile à exprimer comme notion !!). Donc prendre conscience de l’importance de notre biodiversité d’un point de vue économique (certaines études chiffrant par exemple le coût de l’inaction concernant le réchauffement climatique), voire même développer un « tourisme responsable » sur certains sites, sans que ce tourisme n’ait trop d’impact sur l’environnement bien évidemment. Mais je trouve aussi que raisonner de cette manière prouve que nous (enfin surtout moi hein !) sommes très pessimistes sur la capacité de l’espèce humaine à protéger sa planète sans être obligé d’y associer l’aspect financier… Ce sujet est en lien avec mes études, « économie de l’environnement » : avec des modèles mathématiques, des « experts » s’emploient par exemple à mettre un coût sur la pollution. Ces travaux ont notamment débouché sur le protocole de Kyoto avec les droits à polluer que les grosses entreprises se revendent etc… on connait les dérives que ce système a engendré, même si l’idée initiale pouvait paraître censée. Donc on voit également que des lors que des enjeux financiers sont en jeu, il y aura toujours quelques requins assoiffés par les dollars !!
En fait j’ai bien peur que notre génération n’ait pas le temps de voir d’amélioration sur les aspects changements climatiques / maintien de la biodiversité. PAR CONTRE, j’ai la naïveté de penser que via l’éducation à l’environnement et au DD, les générations futures (et en premier lieu nos enfants) seront tous beaucoup plus éveillés et conscients de l’urgence d’agir. Voila donc un long commentaire tout en paradoxes / contradictions, qui n’apporte aucune solution concrète… je crois que je devrais me lancer en politique moi :-)
Salut Jac,
Quel plaisir de lire ces réflexions et convergences d’idées ! Ces questions sont d’une grande complexité et bienheureux celui qui arrive à avoir une opinion bien tranchée.
J’ai appris avec les années que l’éducation à l’environnement, c’est aussi l’éducation à la complexité. La tache est immense, mais pas impossible et comme toi je ne vois pas d’autre issue de secours.
Jac président !